Trois ans après la pandémie en Inde : quels sont les défis de l'accès à l'éducation pour les enfants défavorisés ?

Depuis 2023 l'Inde est le pays le plus peuplé au monde et près de la moitié de sa population a moins de 25 ans. Par conséquent, l'Inde compte un très grand nombre d'enfants en âge d'aller à l'école. Pourtant, l'accès à l'éducation reste encore inégalitaire pour les plus défavorisés. Quels sont les principaux défis d'accès à l'éducation en Inde ? Comment le pays peut-il assurer un accès à l'éducation ou à la formation professionnelle pour tous ? Ce sont quelques-unes des questions qui ont été abordées par nos experts, lors de la table ronde organisée en janvier dernier à l’ Ambassade de France à New Delhi.. Découvrez plus de détails dans cet article.

Trois ans après la pandémie, quelle est la situation de l'accès à l'éducation en Inde pour les enfants défavorisés ? Des experts nous répondent.

Dès le début de la pandémie de COVID-19, pour les élèves du monde entier, l'accès à des outils numériques et à Internet est devenu indispensable pour communiquer et suivre les cours en ligne. Presque du jour au lendemain, les salles de classe ont été remplacées par des espaces virtuels. En Inde, comme dans de nombreuses autres régions du monde, cette transition vers l'enseignement en ligne a révélé les inégalités sous-jacentes dans l'accès à l'éducation.

L'Inde n'était pas prête pour ces deux années de pandémie pendant lesquelles les cours n'ont pu avoir lieu qu'en ligne. Seulement 2,7 % des ménages indiens les plus pauvres ont accès à un ordinateur, tandis que seuls 8,9 % ont accès à Internet.

Pour discuter de la façon dont l'éducation pourrait évoluer dans un monde post-pandémique et mieux répondre aux besoins des élèves en terme de développement de compétences pratiques et utiles à la vie quotidienne, mais aussi en terme de santé mentale, TARA a organisé une table ronde à l'Ambassade de France à New Delhi le 11 janvier 2023.

Animée par Mme Caroline Roublin (alias Basanti), Directrice Exécutive (Programmes TARA), la table ronde comptait parmi ses intervenants : Dr Anju Chazot, autrice, éducatrice et co-fondatrice de l'école internationale Mahatma Gandhi, Dr Amit Sen, psychiatre, écrivain et directeur de Children First, M. Dev Pratap Singh, Directeur/fondateur de Voice of Slum, Mme Meenakshi Yadav, bénéficiaire d'une bourse Vahani, et Noorie, bénéficiaire de TARA.

L'expertise variée des intervenants et leur connaissance approfondie des thématiques ont permis de transmettre un enseignement pertinent et utile au public, dont une grande partie travaille dans le domaine de la protection de l'enfance et/ou de l'éducation.

M. Dev Pratap Singh est co-fondateur de l'ONG Voice of Slum qui aide les enfants des bidonvilles à accéder à l'éducation. Il a partagé son parcours, depuis sa vie d'enfant des rues, jusqu'à la création de l'ONG. "La plupart des enfants vivant dans les bidonvilles sont issus de familles dont les parents n'ont pas eu accès à l'éducation, et souvent, leurs familles ne reconnaissent pas l'importance de l'éducation formelle. Cela est particulièrement vrai pour les filles", a-t-il déclaré.

Il a évoqué les nombreux obstacles spécifiques auxquels sont confrontés les enfants issus de familles défavorisées. C'est notamment le cas pour l'accès aux aides publiques dont le processus est long et compliqué. Selon M. Singh, en raison de la complexité des démarches, la plupart des familles n'ont pas accès aux bourses sur critères sociaux.

Il a également pointé que les inégalités au sein des salles de classe décourageaient de nombreux enfants, les conduisant finalement à abandonner l'école. Selon lui, les inégalités entre les élèves découragent de nombreux enfants et les conduisent à abandonner l'école. Il a proposé que les écoles offrent des formations professionnelles et des cours spécifiques pour aider les enfants issus de milieux défavorisés à mieux s'intégrer dans la société.

La Dr Anju Chazot a toujours été une fervente défenseure de l'éducation alternative. En partenariat avec le gouvernement, elle a co-fondé l'école internationale Mahatma Gandhi, une école inclusive et démocratique allant de la maternelle à la terminale, qui offre un apprentissage expérientiel aux élèves de tous horizons.

Décrivant des défaillances structurelles du système éducatif indien, elle a évoqué plusieurs domaines dans lequel le système scolaire actuel échoue.

Selon le Dr Chazot, les méthodes d'enseignement passives, basées sur des cours magistraux et l'apprentissage par cœur, conduisent à la fragmentation des savoirs, ce qui empêche les étudiants de comprendre comment les concepts s’articulent entre eux, de les contextualiser.

Sur les différences de classes sociales, Le Dr Anju a rappelé qu'en Inde, les enfants défavorisés vont dans des écoles sous financées, les enfants de la classe moyenne vont dans des écoles de la classe moyenne et les enfants des familles aisées vont dans des écoles privées coûteuses. Elle a ajouté que, même si la loi sur le droit à l'éducation a essayé de combler cet écart, il y a un grave manque de diversité dans les écoles. "Les enfants ne parviennent pas à apprendre à voir les choses différemment".

Puis, ce fut au tour Mme Meenakshi Yadav, étudiante à l'Université de Delhi, de prendre la parole. Malgré son origine modeste, elle est parvenu à bâtir une carrière dans le journalisme, grâce à une bourse de l'ONG Vahani Scholarship, basée sur le mérite.

Elle estime que la nouvelle politique éducative, qui prévoit l'abolition de la Commission des subventions universitaires et le recours à des prêts de l'Agence de financement de l'enseignement supérieur, piégera les étudiants dans un cycle de prêts impossibles à rembourser. Selon elle, "Les prêts ne peuvent pas remplacer les subventions et la NEP privera les enfants défavorisés de l'enseignement supérieur. Les politiques doivent aider les plus démunis et ne pas être dictés par les détenteurs du pouvoir. » .

Lorsqu'un système éducatif ne répond pas aux besoins des enfants et qu'ils y subissent une forte pression, une mise en compétition, cela peut conduire à une détérioration de la santé mentale. Selon l'enquête menée par le NCERT, 81 % des répondants ont déclaré que les études étaient la cause de leur anxiété.

Le Dr Amit Sen, fondateur de Children First, une organisation qui offre des services de santé mentale pour les enfants et les adolescents, faisait également partie du panel. En tant que psychiatre pour enfants et adolescents, il a expliqué que, lorsqu'il a lancé Children First, la plupart des gens ne voyait pas la nécessité de services spécialisés en santé mentale pour les enfants. Cependant, au fil des ans, les mentalités ont évolué et les demandes d'aide et de conseils psychologiques et psychiatriques ont pris de l'importance. "La pandémie a également joué un rôle majeur dans cette évolution. Avant la pandémie, il y avait une stigmatisation des personnes souffrant de problèmes de santé mentale, mais depuis la pandémie, les gens ont réalisé que tout le monde peut être touché", a-t-il ajouté.

Le Dr Sen a partagé son expérience sur la manière dont le système éducatif peut avoir un impact sur la santé mentale des enfants et a appelé les acteurs de la protection de l’enfance à travailler ensemble et à pousser les décideurs à mettre en place des politiques plus inclusives et diversifiées. « Le changement ne peut pas se produire du jour au lendemain, mais nous devrions tous nous réunir et travailler en ce sens", a conclu le Dr Sen.

Lorsqu'un système éducatif ne répond pas aux besoins des enfants et qu'ils y subissent une forte pression, une mise en compétition, cela peut conduire à une détérioration de la santé mentale. Selon l'enquête menée par le NCERT, 81 % des répondants ont déclaré que les études étaient la cause de leur anxiété.

La table ronde s'est terminée en laissant aux auditeurs des messages clés. La discussion a souligné la nécessité d'une éducation alternative qui intègre le développement des compétences pratiques et le soutien à la santé mentale, et qui s'attaque aux inégalités d'accès à l'éducation qui existent dans la société. Les systèmes d'éducation traditionnels mettent souvent l'accent sur les réussites académiques au détriment du développement personnel, ce qui peut avoir des conséquences négatives sur la santé mentale et le bien-être général. En revanche, les modèles d'éducation alternative se concentrent sur le développement des compétences sociales, l’esprit critique, la résolution de problèmes et l'intelligence émotionnelle, qui sont essentiels pour réussir tant sur le plan personnel que professionnel. L'éducation joue un rôle crucial pour l'avenir des individus et est essentielle pour le développement global de la société. Il est donc important de donner la priorité à l'éducation et de travailler à la création d'un système inclusif, accessible et efficace pour développer les compétences et les capacités des individus.

Publié le 08.05.2023